Françoise Hardy met des distances hygiénistes. "Je ne serre plus la main des gens", précise-t-elle, puis parle, sans poser de limites formelles. "Les chansons m'ont toujours apporté tellement de joie, de bonheur, de rêve ! Quand elles sont belles, et même tristes à pleurer, elles sont comme un baume. Voilà l'utilité du chanteur."
Elle vient de déménager, troquant un triplex où "Jacques [Dutronc] avait son étage" et elle le sien pour un appartement de plain-pied, entouré de verdure. Il y a parfois des insectes, c'est ennuyeux. Jacques, qui vit en Corse, y a perdu son espace : "Il a l'impression d'être SDF", s'amuse-t-elle.
Dans son autobiographie, Le Désespoir des singes... et autres bagatelles, (Robert Laffont , 2008 ), la chanteuse aux deux carrières - celle qu'elle réprouve, "les chansonnettes du début", et celle qu'elle revendique, à partir de La Question (1971) - raconte comment elle a appris, en 2003, qu'elle est atteinte d'un lymphome de type MALT.
Puis, ce sont genoux fous, plèvre décollée, stress en quantité, coeur en affolement : Françoise Hardy, 68 ans, est une intranquille. Elle publie aujourd'hui L'Amour fou, oeuvre à double face : un disque de dix titres chez Virgin/EMI (son 27e) et un roman de 190 pages chez Albin Michel. Hier, dit-elle, elle était au 36e dessous, tout à l'heure, même. A présent, en ce début d'après-midi automnal et ensoleillé, ça va. Elle est en jeans, porte un blouson d'adolescente bleu marine et blanc. Elle est vive, loquace, brillante et brouillonne, avec une énergie intacte.
"Vous sentez-vous menacée ?
- Je ne sais pas si je serai là l'année prochaine. Je n'arrive pas à m'habituer, j'ai toujours été très indépendante, très active. Depuis trois ou quatre ans, je dois marcher très lentement, je n'ai plus la force. Je suis sur un fil. Il est très handicapant de ne pas pouvoir compter sur soi-même, j'aime bien contrôler, planifier." "Le vieillissement est une épreuve, ajoute-t-elle avec une vigueur de ton tranchant sur le propos, est une épreuve. Tout se déglingue, on voit plus mal, on a mal partout. Heureusement, les plus jeunes ne réalisent pas."
En novembre 2011, c'est les bras dans le plâtre qu'elle vient assister au concert de son fils, Thomas Dutronc, aux Folies Bergère à Paris. "Un matin, en allant chercher le courrier avenue Foch [son ancienne adresse], je me prends les pieds dans le fil de l'aspirateur que passait un employé, et je fais un vol plané. Je me fracture le poignet gauche, le coude droit, je me retrouve à l'hôpital."
Les coulisses des Folies Bergère sont dangereuses - "Il y a mille occasions de se casser la figure !" -, des rideaux, des fils, des caisses, des couloirs étroits. Françoise Hardy évoque Patients (Don Quichotte éd., 163 p. 15€), l'autobiographie où le slameur Grand Corps Malade, rendu infirme par un mauvais plongeon, raconte le calvaire de la dépendance. L'Amour fou, l'album, se termine par Rendez-vous dans une autre vie, sur une musique plutôt dansante de François Maurin.
"L'Amour fou parle-t-il de la mort ?
- La mort ? Ah ! Oui, vous voulez parler de Fous de Bassan ? C'est une chanson que j'ai écrite à partir d'un fait-divers. Comme toutes les personnes qui vivent seules, j'écoute beaucoup la radio. Je suis dans ma cuisine en train d'éplucher mes légumes, et j'entends ces histoires récurrentes de jeunes filles parties se promener et qui disparaissent parce qu'elles ont croisé un monstre. Cela fait froid dans le dos. A la télévision, j'avais vu un documentaire sur la mer du Nord, avec des fous de Bassan, ces horribles oiseaux, terrifiants à entendre, qui prolifèrent accrochés sur des rochers [vers l'île inhabitée de Bass Rock, en Ecosse]. La mélodie, très aquatique, est signée de Pascal Colomb, qui avait été assistant au studio Plus 30, où j'ai beaucoup travaillé."
Une flamme transparente anime derechef Françoise Hardy. Elle part toujours, dit-elle, des mélodies qu'on lui envoie. "Après, j'écris. J'ai une écriture concise, simple, pas vraiment poétique, ni lyrique ni hermétique." Elle adore le travail en studio, particulièrement à Labomatic que dirigent Dominique Blanc-Francard et sa femme, Bénédicte Schmitt. Elle appartient à la communauté des chanteurs, des mélodistes français. Julien Doré, avec qui elle avait chanté BB Baleine (sur l'album Bichon), lui donne Normandia, chanson magnifique traitant des "coeurs imbéciles". Julien Doré, poursuit-elle, est un mystère : "Il est très particulier, il a un univers, il ne ressemble à personne. J'apprécie beaucoup cela chez quelqu'un." Elle adore Sucrer les fraises de la Grande Sophie, déteste le rap, et ne pensait pas écrire de nouvel album après La Pluie sans parapluie publié en 2010.
"Comment vous êtes-vous remise au travail ?
- Rien n'a été prémédité. Pour le dernier album, j'avais eu la chance de trouver de très belles mélodies, mais il n'avait pas très bien marché ; 75 000 exemplaires - ce que la maison de disques trouvait très bien par rapport à la difficulté des temps et à mon statut. Je pensais que je ne trouverais plus d'aussi belles mélodies. Mais Thierry Stremler m'envoie une chanson, qu'il chantait de sa voix un peu aigre, avec un piano et un déluge de cordes. Ça m'a plu au-delà de tout ! Cela m'évoquait le XIXe siècle, l'ambiance des concertos pour piano de Rachmaninov. Donc, j'ai écrit cette histoire, "Serions-nous insensibles à l'amour impossible, à l'amour fou..." Même galvaudé, c'est un très bon titre, L'Amour fou."
Hardy ne sombre jamais : si elle brûle de ses excès, elle maintient cette distance kaléidoscopique qui lui octroie son élégance. Qu'elle s'interroge sur les maux du coeur (Pourquoi vous ?, composée par Calogero), ou qu'elle chante Victor Hugo (Si vous n'avez rien à me dire, mis en musique par Bertrand Pierre), elle joue avec le feu en se jouant des brûlures.
Monsieur X, héros du roman, un homme brillant, élégant, effarouché et cruel, qui lui échappe et la met à la torture, est un Saint Graal que rien n'empêche de poursuivre.
"Qui se cache derrière Monsieur X ? Jacques Dutronc ?
- Monsieur X emprunte aux uns et aux autres, ces hommes qui avaient le même profil, ou chez qui je provoquais les mêmes attitudes. Ce roman est, comme me l'a dit Denis Olivennes [directeur du Pôle information du groupe Lagardère], la matrice de mes textes. Mon éditeur, Stéphane Barsacq, qui m'avait convaincue de publier mon autobiographie, savait que j'avais ce texte dans mes tiroirs depuis une trentaine d'années. Je n'avais pas envie de le publier. Avec tous ces problèmes de santé, il y a des moments où je me sens tellement mal ! Il y a un an, j'ai pensé que j'allais passer de l'autre côté. Je me suis interrogée : que dois-je faire de cela, est-ce que je le jette ? Cela va embarrasser Thomas s'il tombe dessus... J'ai envoyé deux chapitres à Jean-Marie Perrier." Le photographe et ami a aimé, beaucoup.
Et puis, elle cherchait "une accroche supplémentaire pour l'album, sachant que je n'allais pas passer à l'Olympia, ni au Stade de France !" - la dernière fois qu'on l'a vue en scène, c'était en 1997, au Palais des sports, pour un duo avec Julien Clerc qui y fêtait ses 50 ans. "Il m'avait convaincue de chanter Mon ange, en disant : on ne te verra pas, on ne t'entendra pas."
Françoise Hardy chante toujours très bien, sans travailler sa voix. Elle est fière, avoue-t-elle, de cet album très homogène, "avec des mélodies pop-rock et d'autres plus lentes, accompagnées par de vraies cordes", celles du Macedonian Radio Symphonic Orchestra. Cinquante ans de sous-développement voulu par les régimes "d'extrême gauche" (communistes) auront eu pour vertu de rendre les prix accessibles.
Oui, elle fait toujours de l'astrologie. Elle parle, ouvre la fenêtre. Barack Obama est une belle âme, Copé et Moscovici sont deux moulins à paroles ; ni Jacques ni elle ne sont concernés par les fameux 75 % de prélèvements appliqués aux plus riches . "Oui, je me soucie. Le climat est anxiogène pour tout le monde. Nous sommes privilégiés, et les gens qui sont les plus à plaindre sont ceux qui perdent leur boulot".
Nombre de messages : 3574 Age : 51 Localisation : Paris Date d'inscription : 06/08/2007
(#) Sujet: Re: 5 novembre 2012 - Le Monde Mar 6 Nov 2012 - 12:27
Si on écarte la moche photo au bonnet et les élucubrations de Véronique Mortaigne sur la date du schisme de la carrière en deux temps de Françoise Hardy, c'est une interview des plus intéressantes.
Je regrette quand même que Françoise se soit enfermée dans une attitude de morte vivante qui souffre de tous les maux de la terre. A la longue c'est infiniment déplaisant.
sundridge18 Passionné
Nombre de messages : 597 Age : 75 Localisation : Royaume Uni Date d'inscription : 02/01/2010
(#) Sujet: Re: 5 novembre 2012 - Le Monde Mar 6 Nov 2012 - 15:17
Alexandre dit "Je regrette quand même que Françoise se soit enfermée dans une attitude de morte vivante qui souffre de tous les maux de la terre. A la longue c'est infiniment déplaisant." Je suis d'accord. Elle est devenir hypocondriaque? Peut-être que je suis un peu sévère.
luc Fanissime
Nombre de messages : 1653 Age : 72 Localisation : BELGIQUE Date d'inscription : 20/07/2009
(#) Sujet: Re: 5 novembre 2012 - Le Monde Mar 6 Nov 2012 - 15:40
Moi, je crois qu'elle parle sincèrement d'elle même. Elle n'est pas hypocondriaque. Un lymphome de type MALT, ce n'est pas rien. Son teint serait dû à cette maladie. Elle a dû faire une chimiothérapie. A cela s'ajoute : Puis, ce sont genoux fous, plèvre décollée, stress en quantité, coeur en affolement . .... Depuis trois ou quatre ans, je dois marcher très lentement, je n'ai plus la force. Je suis sur un fil. Il est très handicapant de ne pas pouvoir compter sur soi-même, j'aime bien contrôler, planifier." "Le vieillissement est une épreuve, ajoute-t-elle avec une vigueur de ton tranchant sur le propos, est une épreuve.
J'ai beaucoup d'empathie pour elle.
Jérôme Administrateur
Nombre de messages : 9977 Age : 61 Localisation : Paris Date d'inscription : 04/08/2007
(#) Sujet: Re: 5 novembre 2012 - Le Monde Mar 6 Nov 2012 - 19:55
Je pense que la nature anxieuse de Françoise la conduit à alimenter une sorte d'attitude hypocondriaque même s'il est tout aussi vrai qu'elle a une santé relativement délicate fragilisée par son cancer.
Elle a tendance à facilement s'épancher pour se plaindre de tout et de rien. Comme les journalistes s'intéressent à elle quoi qu'elle dise, ça favorise ses confidences sur son ressenti physique et de fil en aiguille sur son état physique décrit dans le menu. C'est dommage.
A force de crier au loup pour tout et rien, on ne peut plus prendre au sérieux la moindre alerte. C'est un peu ce que je ressens vis-à-vis de cette ritournelle permanente de plaintes que Françoise entretient sur sa santé.
Lil' Bear Fanissime
Nombre de messages : 1467 Age : 55 Localisation : France Date d'inscription : 03/02/2008
(#) Sujet: Re: 5 novembre 2012 - Le Monde Mar 13 Nov 2012 - 9:11
Je crois que Françoise parle naturellement (comme elle parle avec franchise de tout autre sujet d'ailleurs) de ses ennuis de santé, et que ces ennuis sont sérieux. Lorsqu'elle dit croire "ne pas passer l'année", je la crois sincère (en espérant de tout coeur qu'elle se trompe!), car j'imagine volontiers que lorsqu'on vieillit on peut être terrifié par la fragilité soudaine qui nous atteint, et qui peut nous faire tomber à tout moment. Elle parle franchement de choses qu'elle ne contrôle pas, comme une victime du vieillissement. J'observe plutôt, dans son attitude, la volonté d'éviter d'en parler, par élégance, tout en gardant, malgré tout, un souci de transparence.
Je pense qu'on peut remercier Françoise pour cette franchise et cette transparence.
luc Fanissime
Nombre de messages : 1653 Age : 72 Localisation : BELGIQUE Date d'inscription : 20/07/2009
(#) Sujet: Re: 5 novembre 2012 - Le Monde Mar 13 Nov 2012 - 17:34
Chanson magnifique de l'ami Georges; Espérons que Françoise n'en n'est pas encore à repasser les chansons de Brassens parlant de la camarde. Chez elle, les thèmes sont plus joyeux ( amours impossibles, ...) Et que cela ne lui donne pas l'idée de commander sa dernière demeure à Sète... Françoise, quand elle évoque une mort, c'est celle d'une rose.... ;-)
Elma Critique du forum
Nombre de messages : 2089 Age : 64 Localisation : Paris Date d'inscription : 06/08/2007
(#) Sujet: Re: 5 novembre 2012 - Le Monde Mar 13 Nov 2012 - 18:58
Etre seul(e), face à la vieillesse et la maladie, c'est difficile. A deux on est toujours plus fort et on se sent soutenu. Au delà de cette banalité, ce que je veux dire c'est que cela peut expliquer le comportement de FH vis-à-vis de sa maladie. Je ne connais pas son intimité ni si quelqu'un partage sa vie mais, même si Thomas gravite autour d'elle, une certaine solitude peut la fragiliser. Qu'on le veuille/l'admette ou non, Françoise est comme nous, elle vieillit. Aurait-elle un comportement moins "morte vivante" si elle était plus entourée, plus sécurisée ? Difficile de voir une idole fléchir [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]